Posté à 5h00
                Louise Leduc La Presse             

À McGill, en 2021, 460 étudiants se sont inscrits au baccalauréat en psychologie. Au doctorat, il y en avait 10. À l’Université Concordia, en 2022-2023, au premier cycle, la nouvelle cohorte compte un peu plus de 500 étudiants. En 2021-2022, 13 étudiants ont obtenu un doctorat de cette institution. À l’Université de Montréal (UdeM), 60 étudiants ont pu s’inscrire au doctorat en 2022, tandis qu’environ 300 s’inscrivent annuellement au baccalauréat. L’Université du Québec à Montréal (UQAM) décerne le plus grand nombre de doctorats, entre 70 et 89 par année (et a enregistré 243 à 310 nouvelles inscriptions au baccalauréat au cours des dernières années). Pourquoi les universités admettent-elles autant d’étudiants au baccalauréat sachant qu’elles ne pourront pas leur offrir l’accès au doctorat, alors que le dossier académique de tant d’entre eux leur permet d’y aspirer pleinement et que le titre de psychologue l’exige ? « C’est une excellente question », dit Hélène David, qui fut professeure de psychologie à l’Université de Montréal, puis vice-chancelière et ministre de l’Enseignement supérieur. Elle explique que le problème vient du mode de financement des universités : plus il y a d’étudiants, plus le coût est élevé. Ceux qui sont inscrits en psychologie — et qui ont besoin du doctorat pour avoir le droit d’exercer — se retrouvent donc dans une compétition folle. Une « polydromie », selon ses termes, très nocive, qui affecte leur santé mentale. PHOTO IVANOH DEMERS, ARCHIVES LA PRESSE Hélène David, ancienne professeure de psychologie à l’Université de Montréal Nous avons besoin des moyennes des patients [pour être admis au doctorat]. Si vous n’avez pas de A partout, vous pleurez pour votre vie. Hélène David, ancienne professeure de psychologie à l’UdeM Il évoque ici le cas de cet ancien étudiant en psychologie qui a fini par entrer en médecine. « Pour la même durée d’études tu seras médecin, tu seras plus riche et tu auras plus de pouvoir dans la société ! il se souvient lui avoir dit.

Trop d’élèves, des professeurs manquants

Le problème sous-jacent ? Depuis 2006, un doctorat est obligatoire pour devenir psychologue au Québec. Cependant, cette décision ne va pas de pair avec l’ajout de professeurs dans les universités. Résultat : ils sont suffisamment nombreux pour donner des cours de baccalauréat dans de grands auditoriums, mais pas assez pour assurer le suivi long et individuel des étudiants que nécessite une thèse de doctorat. Lorsque l’exigence du doctorat a été introduite, Hélène David a pensé que c’était une bonne idée. Il regrette que cela ait conduit à un tel “entonnoir d’admission” et à des études qui n’en finissent plus, explique Hélène David. Elle-même a obtenu le titre de psychologue à 21 ans, avec beaucoup moins d’exigences. “Je l’ai vu comme une grande maîtrise”, explique-t-il, disant qu’à l’époque, il pensait qu’un doctorat permettrait aux étudiants de faire plus de pratique plutôt que de les conduire à plus de recherche. Rose-Marie Charest était présidente de l’Ordre des psychologues du Québec lorsque l’exigence d’un doctorat pour être psychologue a été introduite. L’idée, dit-il, était justement de faire en sorte que les jeunes aient plus de formation pratique et non que leur carrière soit indûment allongée par les exigences de la recherche. “Nous devons trouver un moyen de former davantage de psychologues”, déclare-t-il aujourd’hui. Les besoins des gens sont plus grands de nos jours et la société ne peut pas se permettre d’avoir des pénuries aussi graves. » À l’heure actuelle, les notes requises sont toujours plus élevées et une expérience pertinente dans la recherche, le bénévolat, etc. ne cessent d’augmenter, explique Stéphanie Juneau, vice-présidente de la Fédération interuniversitaire des doctorants en psychologie, qui qualifie l’accès au doctorat de très “anxieux”. PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE Stéphanie Juneau, vice-présidente de la Fédération interuniversitaire des doctorants en psychologie Vous devez trouver un professeur et c’est peut-être la chance qui détermine qui sera accepté. Souvent il n’y a pas de place. Stéphanie Juneau, vice-présidente de la Fédération interuniversitaire des doctorants en psychologie L’Association des étudiants en psychologie de l’Université de Montréal (AGEEPUM) note pour sa part s’être étonnée que le plan d’action en santé mentale, présenté l’an dernier, ne fasse aucune mention de la difficulté d’accéder au doctorat, qui est pourtant au cœur de problème. Avant de s’inscrire, les jeunes savent qu’ils devront passer par un doctorat pour devenir psychologue, note l’AGEEPUM. Mais ce n’est qu’une fois qu’ils sont acceptés qu’ils se rendent compte que même un rapport parfait peut ne pas suffire, comme le leur dit leur département lors des séances d’information une fois qu’ils entrent à l’école. Ensuite, on leur demande de réfléchir à un plan B, aller par exemple en psychoéducation, en criminologie, etc.

de longues études

Le premier ministre du Québec, François Legault, semble ignorer tout cela. Pendant la campagne électorale, il avait déclaré que pour former un psychologue “il faut trois ans d’université”. En effet, les jeunes ne terminent leurs études qu’après huit à neuf ans, note Christine Grou, présidente de l’Ordre des psychologues. « Le programme universitaire pourrait-il se faire plus rapidement ? Peut-être”, dit-il, assurant que l’Ordre des psychologues “n’est pas fermé à l’idée d’essayer toute solution qui augmente l’accès [à un psychologue]. » Il souligne, cependant, que tout n’est pas perdu, même pour les étudiants qui entrent dans les écoles de psychologie. “Faire un diplôme en psychologie crée une culture très intéressante”, déclare Mme Grew. Les universités qui nous ont transmis leurs données ont également précisé qu’il serait dangereux de faire le lien entre les pénuries de main-d’œuvre et la baisse marquée du nombre d’étudiants entre le premier cycle et le doctorat. Tout le monde n’aspire pas à devenir psychologue en s’inscrivant dans ce domaine, soutiennent-ils. C’est aussi la raison pour laquelle seules les personnes inscrites au diplôme d’études secondaires ont été prises en compte. À l’Université de Montréal, si l’on inclut toutes les personnes inscrites au département de psychologie (mineures, maîtrises, certificats, diplômes, etc.) à l’automne 2021, à temps plein ou à temps partiel, le nombre s’élève à 2 143 Étudiants. Et au niveau doctoral, pour les rares places disponibles, la concurrence vient aussi des étudiants des autres universités. Si certains jeunes se rendent compte au cours de leurs études que le métier de psychologue n’est pas fait pour eux, presque tous y aspirent, constate Hélène David.

“Je m’inquiète pour 2023”

Sophie Parent, vice-chancelière de la Faculté des arts et des sciences de l’Université de Montréal, affirme pour sa part que son institution sait « qu’il serait souhaitable de former davantage de psychologues ». (Idem pour l’Université Laval qui nous dit de « chercher des solutions pour augmenter le nombre de personnes admises au doctorat »). Mais il y a une pénurie de professeurs pour assurer plus d’encadrement de thèse, explique Mme Goneas. Chaque professeur du département de l’Université de Montréal suit déjà cinq à neuf doctorants – et « nous sommes très inquiets en 2023 » à cause du boycott annoncé, explique-t-il. Des centaines de psychologues et neuropsychologues du réseau québécois menacent en effet de ne pas embaucher d’internes et d’internes l’an prochain. Ils estiment qu’un psychologue du secteur public en Ontario gagne 57 % de plus que son homologue québécois. Selon…