La salle tourne. Jusqu’ici tout va bien : le parti d’extrême droite affiche un beau semblant d’unanimité. Le nouveau patron et le conseil national nouvellement élu (sorte de parlement du parti composé de 100 membres élus par les députés et 20 élus par le président) se retirent dans une salle pour former le bureau national et le bureau exécutif : les instances dirigeantes de la gauche . Trois quarts plus tard, la composition des bureaux chute. Foudre : deux poids lourds du mouvement sont exclus : Bruno Bild, député du Pas-de-Calais, et Steve Briois, maire d’Hénin-Beaumont. Deux purs navigateurs historiques. Proches compagnes de Marine Le Pen, depuis l’époque de Générations Le Pen, l’association a démarré autour d’elle en 2002. Deux amis qui ont aidé l’héritière de Montretout à s’installer dans le bassin minier et à se forger une identité de personnalité politique proche du Peuple. Briois est toujours le chef adjoint de l’équipe RN à l’Assemblée. Et il est toujours très populaire parmi les militants, étant arrivé quatrième au conseil national. Devant la Mutualité, des militants sortent, des cadres se félicitent, prennent des selfies. Jordan Bardella quitte la salle sous une standing ovation et s’engouffre dans une berline noire. Nous n’avons pas le temps de répondre aux questions des journalistes. Quelques minutes plus tard, les téléphones sonnent. Par SMS, Bruno Bilde vient d’envoyer un communiqué de presse de Steeve Briois à la presse. Il est au vitriol. « Alors que depuis de longs mois je tire la sonnette d’alarme sur une éventuelle re-radicalisation, je ne peux voir mon expulsion que comme une sanction car je voulais sensibiliser à un phénomène que les faits confirment. Des rondes faites à certains intégristes, à l’adoption de positions de droite, contraires à mes yeux “ni droite ni gauche» qui a prévalu pendant des décennies au Front national, pique le maire d’Hénin-Beaumont. Certaines exagérations me donnent encore raison.” Allusion transparente à la sortie xénophobe, jeudi en hémicycle, du député de Giron Grégoire de Fourna, qui aurait dû être nommé attaché de presse du parti par Jordan Bardela. Briois dit qu’il a peur d’un “nouvelle marginalisation RN” et c’est possible “fumeur” ce que cela causerait, à son avis “cette stratégie de l’union de la droite radicale, qui a échoué à la présidentielle malgré tous les patriotes de droite et de gauche”. Et de conclure en prétendant être sa victime “Ce qui ressemble plus au début d’une purge contre ceux qui respectent la ligne sociale.” Quelques minutes plus tard, au micro de BFM, Briois en remet une couche : “Je ne veux pas voir venir au RN des fous obsédés par une seule chose : l’identité.” Bruno Bilde et Steeve Briois, dans un café près de la Mutualité, lors du 18e Rassemblement Congrès national, le 5 novembre. (Denis Allard/Libération) L’accusation est d’une rare violence dans un RN habitué au monolithisme idéologique. Pire : décrit un mouvement au sein duquel deux lignes coexistent. Ce que, justement, Marine Le Pen n’a cessé d’écarter tout au long de la campagne interne. Tout comme Jordan Bardella et Louis Elliott, qui ont préféré souligner “deux personnalités, deux parcours, deux expériences” Selon les mots de ce dernier, malgré la confrontation entre une ligne sociale modérée, « ni de droite ni de gauche » et une ligne plus radicale, identitaire et de droite. Si l’élection de Marine Le Pen face à Bruno Gollnisch, en 2011, était bel et bien un renouveau sur le fond, il n’en était pas question aujourd’hui, puisque nos deux concurrents se réclamaient du plus pur marinisme. Le génie de Bilde et Briois vient de détruire ce récit. Pour les amis du nouveau chef, pas question de gâcher la belle fête de famille. Le mode Minimiser est activé. “Il est de mauvaise humeur mais il passera. supprime un nouveau membre du Bureau National. Je ne pense pas qu’il y ait vraiment de problème, si ce n’est de considérer que Jordan Bardella n’est pas un marin. “Sournes est un mauvais conseiller, ce n’est pas un problème de ligne, c’est une excuse pour ne pas vouloir travailler avec Jordan”, évacue Gilles Pennelle, nouveau directeur général du parti (sorte de reformation du secrétariat général, disparu du congrès de Lille en 2018), proche de Jordan Bardella. Dans le off, l’environnement du nouveau président joue l’indifférence. Pas sans rayures : “Nous ne pouvons pas avoir quelqu’un au conseil d’administration qui a traité Jordan Bardella comme un petit idiot au comité d’investissement.”assomme son proche, qui souligne que la diversité a été respectée, puisque six proches de Louis Alio ont rejoint le Bureau national. Côté Bilde et Briois, l’attaque commence, elle ne s’arrête pas. A deux pas, place Maubert, les deux amis enchaînent Coca Zéros et interviews télévisées. Le premier reprend le fil de l’histoire. “La nuit dernière, Jordan m’a appelé et m’a dit d’une manière extrêmement violente : ‘Je te libère de BE, mais je te garde à BN.’ Désolé mais à 46 ans j’ai passé l’âge d’avoir un râle”, se met en colère. Un ton que les proches de Bardella prennent à demi-mots. Les deux marins de la première heure sont en colère. “C’est un sentiment d’humilité”, ajoute Steve Briois. En haut de la route commencera le discours d’Aliot puis celui de Bardella. “nous rentrons à la maison”soufflé Image.

Séquences d’émotions

Retour à la fête de famille. Discours de consensus d’Aliot remerciant “Marine” et faisant l’éloge de Bardella : “Je sais qu’elle est habitée par une qualité essentielle : la loyauté et la rigueur requises pour conquérir la ligne nationale et populaire que Marine Le Pen a portée pendant dix ans”, a déclaré le maire de Perpignan. Le nouveau patron entre en scène et enchaîne avec un discours tout aussi consensuel. “Le Rassemblement National que nous voulons doit être avant tout une communauté militante unie par l’amitié et le sens des responsabilités”dit Bardella, entre deux séquences émotionnelles parfaitement exécutées pour Marine Le Pen, “La deuxième personne que je dois à qui je suis”, d’après sa mère biologique. Tout le monde a l’air très content. En coulisses, Louis Aliot ne cache pas son malaise après l’expulsion de Briois et Bilde, ses partisans pendant la campagne interne. “Ils sont au début du marinisme municipal. Le fait qu’ils ne soient pas dans les instances gouvernementales soulève des questions. Il rentre 4ème, je vois pas comment il peut pas être en BE [bureau exécutif]. Ça va interpeller les militants », glisse celui qui vient d’être nommé premier vice-président du RN. Il ira tout de même au dîner de gala organisé le soir, à la Mutualité. Mise à jour à 20h avec plus de preuves narratives de la fin de la conférence RN