Les prévisions d’inflation pour 2022 publiées par le Fonds monétaire international (FMI) dans son rapport d’avril dernier arrivent à une conclusion claire. Dans la grande majorité des pays, la hausse des prix à la consommation au cours de l’année devrait atteindre un niveau bien supérieur aux 2 ou 2,5 % que les banques centrales jugent optimaux. De manière générale, le FMI prévoit une inflation sur un an de 5,7% dans les économies développées et de 8,7% dans les pays émergents ou en développement. Les données observées depuis le début de l’année confirment l’ampleur de la hausse des prix prévue par le FMI. En mai, l’inflation a atteint 8,1 % dans la zone euro, par exemple, alors que le FMI table sur 5,3 % pour 2022. Aux États-Unis, qui devrait afficher une inflation de 7,7 %, selon la même prévision, les prix ont augmenté de 8,3 % sur l’année. sur un an en avril, selon le Bureau américain des statistiques du travail. “Pour voir globalement une telle situation, il faut remonter à la fin des années 1970 et au début des années 1980”, explique Eric Heyer, directeur de l’analyse et de la prospective à l’Observatoire économique français (OFCE). ). Il rappelle cependant que l’inflation était alors plus élevée qu’elle ne l’est aujourd’hui, atteignant par exemple plus de 13% en France ou aux Etats-Unis en 1980, selon la Banque mondiale. Au début de la situation actuelle, une poignée de facteurs ont des significations différentes selon les pays. “L’inflation a commencé bien avant la guerre en Ukraine”, a rappelé Eric Heyer. La hausse des prix a été initialement alimentée par la reprise économique intervenue en 2021 après la crise sanitaire. La demande croissait alors très vite sans que l’offre ne puisse suivre, entraînant une hausse des prix. L’inflation aux États-Unis est une conséquence directe de ce choc de demande post-Covid. “Sous Trump puis sous Biden, l’économie a été surstimulée par les plans de relance”, explique l’économiste Stéphanie Villers. L’envoi massif de chèques aux ménages américains a, par exemple, encouragé la surconsommation, provoquant une offre excédentaire par rapport à l’offre. Cette inflation ne pourrait être que temporaire si elle n’avait pas été alimentée, dans de nombreux pays, par d’autres facteurs. La reprise de l’épidémie de Covid-19 en Chine, pays où l’Etat utilise la stratégie dite du “zéro Covid”, a mis un terme à la production nationale. Cela a eu plusieurs conséquences : un ralentissement des exportations, une perturbation des chaînes d’approvisionnement mondiales, une détérioration de l’offre et, en fin de compte, une hausse des prix. La guerre en Ukraine est venue s’ajouter à ce contexte déjà sensible. En arrêtant les exportations vers la Russie et l’Ukraine, notamment d’hydrocarbures et de blé, le conflit a fait grimper les prix de l’énergie et des denrées alimentaires. C’est ce choc d’offre qui explique la sévérité de la crise d’inflation en Europe. Sur le Vieux Continent, presque tous les pays sont concernés, quoique de façon hétérogène. Alors que l’inflation, selon les prévisions du FMI, devrait rester inférieure à 6% en 2022 au Portugal, en Espagne et en Allemagne, certains pays pourraient être plus touchés, comme le Royaume-Uni (7,4%) ou la Pologne (8,9%). L’inflation devrait même dépasser 10% en Bulgarie ou en Lituanie. La Russie, quant à elle, fait les frais de très lourdes sanctions occidentales et devrait faire grimper l’inflation de plus de 20 %. Les effets de la guerre en Ukraine ne s’arrêtent pas aux portes de l’Europe et devraient également toucher des économies émergentes comme l’Inde, pour laquelle le FMI prévoit un taux d’inflation de 6,1% par an, le Brésil (8,2%) ou l’Afrique du Sud (5,7% )). Pourquoi tant d’inégalités ? Parce que les pays sont inégalement dépendants des hydrocarbures russes et du commerce mondial. Mais aussi parce que les mesures prises pour limiter la hausse des prix diffèrent d’un Etat à l’autre. “Si la France est relativement sûre, c’est parce qu’elle est moins dépendante des hydrocarbures du fait de son mix énergétique, et le gouvernement a cherché à freiner la hausse des prix au lieu de distribuer des chèques”, explique l’économiste Eric Heyer. Pour certains pays, l’inflation relève de causes plus structurelles. Détruit par une décennie de crise économique causée par la chute des prix du pétrole et de lourdes sanctions américaines, le Venezuela devrait enregistrer une inflation de 500 % pour 2022, la plus élevée au monde. Un pourcentage toutefois inférieur par rapport à 2020 (près de 3 000 % selon le FMI) ou 2021 (près de 700 %). Le Soudan, où l’inflation devrait atteindre 245 %, paie le prix d’un coup d’État et du gel de l’aide internationale qui s’en est suivi. Ces situations difficiles sont parfois exacerbées par les événements récents. En Argentine, l’inflation est à deux chiffres depuis 2010 en raison de la dévaluation de la monnaie causée par un manque de confiance, des investissements prudents ou des périodes climatiques difficiles. Cependant, il devra encore augmenter avec la guerre en Ukraine et la hausse des prix alimentaires, à plus de 50% selon les prévisions du FMI. En raison de cette variété de facteurs, la situation est susceptible d’évoluer différemment selon les régions. Aux États-Unis, la banque centrale a relevé les taux d’intérêt pour ralentir la reprise. “Du coup, on commence à voir un ralentissement de la demande, l’inflation ayant culminé à 8%”, note Stéphanie Villers. En Europe, en revanche, l’avenir est plus incertain. Guerre en Ukraine, évolution de la situation sanitaire en Chine, mesures prises par les gouvernements… Bien que la Banque centrale européenne (BCE) ait déjà prévenu qu’elle remonterait les taux d’intérêt en juillet, il reste encore de nombreuses inconnues. “Le pic n’est sans doute pas encore atteint”, estime Stéphanie Villers. “Le scénario le plus probable est celui d’un retour à la normale, soit une inflation autour de 2%, d’ici fin 2023”, prédit Eric Haier.