Quais de métro et arrêts de bus saturés, transports bondés, quand ils ne sont pas retardés voire supprimés… Les transports en commun franciliens sont au bord de la saturation depuis plusieurs mois. Un déclassement qui ne concerne plus seulement les lignes connues pour mal fonctionner ou surchargées, comme la ligne 13 du métro ou les RER B et D, mais désormais d’autres lignes de métro et de nombreuses lignes de bus également. D’autres problèmes se sont ajoutés aux soucis techniques : le manque de chauffeurs, mais aussi la fréquence des transports, qui n’est pas partout revenue au niveau d’avant la crise du Covid-19. Pour certains usagers, ces troubles provoquent “une anxiété liée aux transports en commun”, explique à BFMTV.com le psychiatre, professeur des universités-praticien hospitalier et chef de service à Henri-Mondor Antoine Pelissolo. Un stress “à des degrés divers allant du ‘normal’ au ‘pathologique’”, ajoute le psychiatre. Isabelle, une Parisienne de 50 ans, était en proie à l’incertitude de ne pas savoir quand son bus arriverait face à des retards successifs, craignant aussi qu’il s’arrête à mi-chemin “pour se mettre en place”. Ce sentiment lui a donné “des impulsions de colère très importantes”, dit-il. Cette cadre, qui souffre d’un handicap invisible, prend tous les jours le bus pour relier son domicile du 11e à son lieu de travail du 6e. Quand tout se passe bien, son trajet dure une quarantaine de minutes. Mais généralement, cela compte 1h à 1h30, surtout le soir. Une fois à la maison, il lui faut “20 minutes pour décompresser”, dit-elle, “il ne faut pas trop me parler”. Chaque jour, ce stress causé par l’incertitude s’ajoutait à ses journées de travail et se manifestait en elle sous une forme d’agressivité. Dans le bus, “je poussais les gens, parfois j’écrasais volontairement les jambes des usagers, confie-t-il. J’ai voulu insulter le chauffeur, mais rassurez-vous, je ne l’ai jamais fait.” “J’avais des impulsions, vouloir me mettre sous les roues du prochain bus, ça glisse. Ça m’a fait peur, on se dit qu’on va s’échapper.” Aujourd’hui, cependant, elle prétend aller mieux grâce à la méditation. Selon le psychiatre Antoine Pelissolo, “l’incertitude provoque beaucoup d’anxiété et peut provoquer un épuisement proche de la dépression, ainsi qu’une fatigue physique”. “Les transports en commun peuvent être une source de stress non négligeable, notamment en raison de l’incertitude sur les trajets, même sans forcément des perturbations majeures. Ce sont des éléments plus favorables, mais des pannes ou des incidents imprévus peuvent survenir à tout moment et sont donc des facteurs de risque de stress au quotidien”, explique l’expert.
“Le corps détendu”
“Je suis épuisé, stressé et le comportement de certains utilisateurs me donne les larmes aux yeux.” Mireille, 62 ans, habite la banlieue sud de Paris. Chaque jour, elle prend un bus qui l’emmène à la gare de Massy-Palaiseau puis emprunte le fameux RER B. La loterie épuise cette utilisatrice des transports en commun depuis 25 ans. Chaque matin, “quand je me lève, j’ai peur de savoir comment ça va être”, souffle-t-elle. Dans ces bus et ces RER bondés, “le corps est détendu, j’ai déjà le vertige parce que c’est oppressant, on sent le stress autour de soi, on se sent enfermé”. La bosse dans le ventre n’est jamais bien loin quand vient le temps du transport. Notamment les mardis et jeudis “où il y a le plus de problèmes” et le soir à 18h00 “c’est là où il y a le plus de monde”, note Mireille. Du lundi au vendredi, le sexe attend ses mouvements. Elle arrive à 8 heures à Paris sur son lieu de travail, qu’elle récupère à 9 heures. Une marge importante qui ne suffit parfois pas. En septembre dernier, elle est arrivée « tremblante, les larmes aux yeux » après qu’un énième problème sur le RER B l’ait obligée à changer d’itinéraire. Cependant, elle affirme n’avoir jamais eu de problèmes avec son employeur en raison du transport.
L’échographie soulignée par la métaphore
Ce stress et cette usure liés aux dysfonctionnements des transports en commun peuvent-ils conduire au burn-out ? Selon Antoine Pelissolo, “il est rare que des problèmes de transport suffisent à eux seuls à déclencher des pathologies graves”. Le plus souvent, c’est une accumulation de différents facteurs qui peuvent les provoquer : « des tendances anxieuses antérieures, le stress du transport, des problèmes professionnels », dit-il. “Pour les transports, si on ajoute des durées longues et fatigantes et des conditions difficiles (nombreuses perturbations, grèves, environnement défavorable) on risque d’être proche de la séparation”, ajoute le psychiatre. On peut alors parler “d’échographie”. “Si d’autres facteurs personnels sont impliqués, la progression vers une véritable dépression est parfois possible”, prévient-il. Tension nerveuse importante, irritabilité voire impulsivité, troubles du sommeil, troubles de la concentration ou encore hypervigilance, le stress lié aux transports en commun se manifeste dans la santé mentale des usagers à différents niveaux. Des symptômes qui peuvent être physiques avec des douleurs, des sueurs, des vertiges, des troubles digestifs, explique l’expert.
Stratégies de soutien
Plus que des vertiges, un usager de la ligne 13 avait déjà “quatre malaises dus à des trains bondés. On s’entassait, j’étais écrasé, j’étouffais à cause de la chaleur. On a une anxiété croissante car on a l’impression qu’on est en train de mourir quand on ressent ces malaises.” Depuis, il a mis en place des stratégies. “Maintenant j’habite à côté des portes”, souligne celui qui ressent le comble de l’angoisse devant les tribunes bondées. Foule “évoquant des itinéraires alternatifs en cas d’incident sur la ligne”, souffle l’usager qui a déjà vu des gens se heurter. Dans les transports en commun, presque tout le monde peut être concerné par ces pics de stress. “Les personnes présentant certains symptômes anxieux ou phobiques sont plus sensibles au stress environnemental”, explique le médecin. Les personnes ayant déjà subi des accidents et des agressions présentent également “la manifestation de stress post-traumatique (flashbacks, cauchemars, panique, évitement)”. Les personnes âgées semblent également être plus touchées, tout comme les femmes. “Mais les deux sexes peuvent être concernés”, insiste le professionnel.
Les jeunes ont également été touchés
Certains jeunes souffrent également des perturbations des transports. Manon, une étudiante de 21 ans, se sent injustement arrivée en classe après une heure, voire deux en cas de perturbation, de marche. La jeune femme habite à Esson. Chaque jour, il prend un bus, deux RER et un métro, “la ligne 9, mais il y a rarement des problèmes”, pour se rendre à l’école. “On peut prévoir, il y a toujours une angoisse, peu importe l’heure. Et les perturbations ont un effet domino sur la suite de mon voyage”, confie l’étudiante qui précise qu’elle est “moralement fatiguée” plus que stressée. “Nous sommes déjà emportés, nous ne sommes pas dans des conditions favorables pour travailler”, explique-t-il. “Quand je suis un peu en retard, je peux bouder devant une situation et ça ne serait pas arrivé si j’avais été à l’heure”, explique Manon. Mais alors, les effets des transports sur la santé mentale des Franciliens pourraient-ils un jour devenir un problème de santé publique ? “Les recommandations générales sont d’augmenter la part des transports en commun, et c’est bon pour la santé, mais à condition d’améliorer les conditions, affirme Antoine Pelissolo. Si ce n’est pas le cas, nous risquons de perdre les bénéfices pour la santé ou même d’aggraver l’état de santé de la population concernée. Et rajoutons : “le stress a des effets négatifs sur la santé, augmentant notamment le risque de maladies cardiovasculaires”. Pourquoi est-il bloqué dans les transports ? Une accumulation de facteurs est à l’origine des nombreuses perturbations qui affectent actuellement les transports, au-delà des problèmes techniques « classiques » bien connus des voyageurs. Avec le Covid-19 et l’explosion du télétravail à partir de 2020, l’usage des métros et du RER avait fortement chuté et l’offre avait été ajustée en conséquence. Cependant, plus de deux ans plus tard, certaines lignes n’ont toujours pas retrouvé leur niveau d’avant la crise. Seules les lignes de métro 7, 9, 13 et 14 ont actuellement une capacité de 100 % en termes de fréquence des trains. Autre facteur : le manque de personnel. Un problème rencontré par de nombreuses sociétés de transport et qui ne fait pas exception en Île-de-France. “Il y a une vraie pénurie de chauffeurs, a expliqué à l’AFP Laurent Probst, directeur général d’Ile-de-France Mobilités. C’est inquiétant.” Ce dernier s’inquiète de la dégradation de la régularité du métro parisien. Les derniers chiffres montrent une régularité de l’ordre de 84 à 92 % en septembre dans le métro et cela entraîne de longs temps d’attente sur les quais.