C’est un véhicule blindé qui fonce à travers la campagne pour échapper à l’avancée ukrainienne, c’est un bivouac de fortune où les soldats croupissent sans abri ni confort. Le groupe de recherche indépendant Conflict Intelligence Team a diffusé deux vidéos à travers lesquelles des soldats russes eux-mêmes dénoncent leurs conditions de vie et la précarité de leur situation au front. Leur désespoir est d’autant plus profond qu’à l’est, l’Ukraine lance une nouvelle contre-offensive et qu’au sud, les autorités ont déjà dû renoncer à évacuer 140 000 personnes de la ville de Kherson. Le général Jérôme Pellistrandi, conseiller Défense de BFMTV, a analysé ces images. Si l’expert les juge révélatrices de l’état de délabrement de l’armée russe, il rappelle qu’elle dispose encore de quelques ressources.

« Nous devons y aller, dépêchez-vous !

La première vidéo montre d’abord un carrefour, sur une route de campagne en Ukraine. On entend des soldats russes fulminer près de leur char. “Arrêtez le véhicule, arrêtez-le !” crie l’un d’eux. “En bas, merde, plus vite. Il faut y aller, dépêche-toi ! Plus vite !”, entend-on encore. La séquence suivante montre le véhicule roulant à toute allure sur un chemin de terre, vraisemblablement pour échapper à ses poursuivants. Le signe de la fièvre russe face à la poussée ukrainienne. Encore une fois, ce char a de la chance de s’en tirer. Les soldats russes ont filmé leur parcours. © BFMTV

“Cercueils ambulants”

“On sait qu’aujourd’hui, le premier fournisseur de matériel blindé de l’Ukraine est la Russie. Pourquoi ? Parce que les Russes abandonnent le matériel”, souligne Jérôme Pellistrandi. Un abandon de matériel qui passe forcément par des redditions humaines, souligne encore notre conseiller : “Cela veut dire que les militaires se sont rendus, car ils sont dans des bidons qui sont des cercueils à pattes.” Concrètement, pour couvrir les pertes, les Russes devaient s’appuyer sur des véhicules soviétiques… tout droit sortis des usines de Nikita Khrouchtchev. “Les Russes ont remis en service des chars T62. ’62’, comme en 1962, donc des chars complètement obsolètes”, précise Jérôme Pellistrandi.

“Il n’y a nulle part où sécher”

Autant dire que les prochaines opérations s’annoncent mal pour les Russes. Et la situation pèse naturellement sur le moral des troupes. Celle-ci montre la seconde vidéo relayée par la Conflict Intelligence Team. On voit d’abord une scène qui a éclaté, tandis qu’un soldat explique : “Le 3e bataillon de Penza est arrivé. Au début, nous vivions dans ces tentes faites à la main. Il a commencé à pleuvoir, nous avons dû déménager. Tout le monde a déjà attrapé un rhume. Tout est putain d’humide maintenant. Les gars sont là et nous merde en mouvement.” Les tentes ont été évacuées vers un bivouac russe. © BFMTV Le même homme continue, filmant ce qui ressemble vraiment à une grange ou à une porcherie. Sur de très belles couettes, jetées par terre, il s’exclame : “Ici les mecs ont fait quelque chose, tout est putain d’ouvert. Ici on dort, putain ! On a jeté de la paille sur le béton.” “Voici notre putain d’armée. Nous n’avons nulle part où nous sécher”, conclut-il.

mal équipé

Ce dernier détail peut sembler anodin, mais il est d’une importance psychologique cruciale. “Nous nous dirigeons vers la saison hivernale, donc nous avons les pluies d’automne, et quand vous avez une combinaison humide, le séchage est minime. Ce sont donc des conditions de vie quasi inhumaines”, souligne Jérôme Pellistrandi. L’épreuve est rendue d’autant plus douloureuse par l’effet d’opposition produit sur l’esprit des Russes par des soldats adverses logés en bien meilleur état. Le général rappelle ainsi que “les premières livraisons occidentales à l’Ukraine, depuis fin février, étaient des équipements personnels : treillis, casques”. “Le commandement ukrainien nous a demandé de leur fournir des équipements d’hiver, des vestes pour le grand froid, des Rangers. Alors que nous sommes du côté russe, nous savons que pour les militaires récemment mobilisés, leurs familles ont dû acheter des trousses de premiers soins pour les équiper. . D’un côté, on a une armée bien équipée, bien nourrie, de l’autre, des soldats russes livrés à eux-mêmes”, développe Jérôme Pellistrandi.

L’attention reste de mise

“Il y a une dynamique du côté ukrainien. L’administration ukrainienne est extrêmement efficace, le militaire aussi, et côté russe, il patine dans tous les sens, la logistique est déplorable”, résume notre conseiller, qui appelle pourtant à “l’attention”. . ., malgré la “souffrance du soldat russe”. Et cela est dû à de nombreux facteurs. Tout d’abord, l’armée russe est habituée aux temps difficiles. Et puis le front reste relativement stable, malgré le coup de l’Ukraine. Dans la situation où que l’arrivée de l’hiver pourrait être glaciale. “Pour le moment, l’avantage est probablement aux Ukrainiens, mais on verra comment les positions vont se figer avec l’hiver. D’autant que pendant ce temps, les Russes continuent de bombarder l’infrastructure politique ukrainienne”, pose Jérôme Pellistrandi. Enfin, il n’est pas exclu que la fameuse « conscription partielle » ordonnée par Vladimir Poutine finisse par porter ses fruits, même si elle s’est jusqu’ici maintes fois avérée imparfaite. “Le commandement russe a encore de jeunes soldats. Et donc vous avez peut-être le soldat le mieux équipé du monde, s’ils sont en infériorité numérique d’un à dix, ils pourraient être débordés”, ajoute le consultant de BFMTV Défense. Robin Verner Journaliste BFMTV