Il y a des blessures qu’aucun médecin, aucun psychologue ne peut guérir. Le 14 juillet 2016, Sébastien a eu la chance de ne pas être percuté par le camion conduit par Mohamed Lahouaiej-Bouhlel sur la Promenade des Anglais à Nice. Mais depuis six ans maintenant, le quinquagénaire natif de Saint-Saint-Denis est hanté par les images de corps démembrés au sol, les cris des rescapés. “Ce drame est ancré dans votre personnalité, dans votre chair”, explique-t-il ce jeudi à la barre du tribunal spécialement constitué. “On n’est pas victime d’un seul soir”, souligne ce directeur d’une société de VTC, cheveux courts, fine barbe, lunettes et chemise noire. La douleur est si forte qu’il a souvent “voulu mourir”. vivre « pleinement [sa] dépression », pense-t-il à Emma, une jeune femme dont Sébastien a tenu la main pendant près d’une heure en attendant les secours. Sa rencontre avec l’adolescent, alors âgé de 13 ans, que Sébastien doit en quelque sorte au “destin”. A l’époque, Sébastien était en couple avec une femme habitant à Nice. Cet été-là, il avait prévu de s’envoler pour la Côte d’Azur avec elle, mais à la dernière minute, son vol a été annulé. Sébastien décide de prendre sa voiture, roule toute la nuit et arrive tôt le matin dans la ville où il va fêter, quelques heures plus tard, le 14 juillet. Cette nuit-là, sa “petite amie” travaille. Au lieu de rester seul chez lui, il descend la rue pour assister au feu d’artifice sur la Promenade des Anglais, où la foule s’est massée. “Soudain, sans aucun bruit, il y a cette masse blanche qui est passée devant moi”, raconte-t-il.
“J’ai tourné la tête et j’ai vu cette petite fille par terre”
Au volant de son 19 tonnes, Mohamed Lahouaiej-Bouhlel frappe les gens comme une boule de bowling. “Tout le monde a commencé à crier, à courir. Je suis resté là et j’ai regardé le camion continuer sa route. J’ai tourné la tête et j’ai vu cette petite fille par terre. J’ai attrapé sa main et je ne l’ai pas lâchée. Elle ne le sait pas encore, mais elle s’appelle Emma, elle a 13 ans. La jeune femme a perdu sa grand-mère, sa tante et son mari dans l’attentat. Elle a été grièvement blessée et a subi des brûlures sur tout le corps. “Elle était dans un état assez grave, j’ai réalisé que je pouvais la perdre si je la laissais partir”, poursuit Sébastien. En lui parlant, elle regarde le camion blanc poursuivre sa route macabre. Le véhicule s’arrête finalement et une bagarre éclate. Un policier, passant par là, lui « crie » de se mettre à l’abri. Mais il est “hors de question”, pour Sébastien, de lâcher la main d’Emma, une jeune rescapée au milieu du chaos. “Chaque fois que je levais les yeux, je voyais des morts. Aucun homme n’est prêt à voir cela. J’ai vu un homme mourir, mourir, c’est la pire image parce que j’aimerais lui tendre la main pour qu’il puisse partir dignement. J’ai découvert plus tard qu’il était l’oncle d’Emma. A plusieurs reprises, l’adolescente “a eu envie de fermer les yeux, de lâcher prise”. Alors Sébastien s’assure qu’il est “conscient d’elle”, pour ne pas la “perdre”. Il faut une cinquantaine de minutes aux secouristes pour s’occuper d’Emma, submergée par le grand nombre de victimes.
“J’ai eu la chance de rencontrer Emma”
Les pompiers n’ont plus de civière. Dans une “barrière de travail” alors, la jeune femme est conduite à l’hôtel Méridien, qui sert à protéger les rescapés. A l’intérieur de l’établissement, Sébastien reste un quart d’heure à côté d’Emma, qui ne cesse de lui demander où se trouve sa famille. Il part alors à leur recherche. En vain. En fait, une seule des sœurs aînées de l’adolescent a survécu. “Je voulais croire, pour elle, qu’ils étaient encore en vie. Il veut retourner voir Emma, mais un policier l’empêche d’entrer dans l’hôtel. Il faut dire qu’à cette époque, des rumeurs circulaient, faisant état d’autres attaques et prises d’otages dans la ville. “Ça a été une vraie déception pour moi, j’avais l’impression de l’avoir abandonnée. » À peine deux jours plus tard, il retrouve la jeune femme. “J’ai eu de la chance de rencontrer Emma qui s’est battue pour vivre, car si elle était morte cette nuit-là, je n’aurais pas été devant vous”, se détend celle qui se bat quotidiennement, depuis six ans, contre les idées noires. « Avez-vous réussi à reconstruire une vie personnelle ? a demandé le président du tribunal, Laurent Raviot. “C’est compliqué”, répond Sébastien. J’ai perdu beaucoup de choses, les gens ne me comprennent plus, ma copine a duré quatre ans. Peu à peu, il a perdu ses amis. “C’est le tour, ça respire. Tout s’effondre et vous ne comprenez pas pourquoi. Aujourd’hui, il s’accroche à la vie du mieux qu’il peut.
“C’est difficile pour elle de dire ce qui s’est passé”
Il est resté en contact avec Emma, qu’il considère comme faisant partie de sa “famille”. “Je suis content de la voir grandir. Elle a eu son bac, avec mention », raconte fièrement Sébastien, qui se considère comme le « deuxième père » de la jeune femme. “Physiquement, elle va mieux, à part quelques cicatrices”, décrit la sœur aînée d’Emma, Deanna, au volant. Son benjamin, Swad, précise toutefois que “mentalement, c’est quand même très compliqué”. Sa petite sœur n’a pas voulu venir à Paris pour témoigner au procès. “C’est très difficile pour elle de dire ce qui s’est passé. »