La Banque centrale européenne (BCE) a décidé, jeudi 9 juin, de stopper ses mesures de soutien monétaire en mettant fin à des années de rachats d’actifs et a annoncé qu’elle relèverait en juillet ses taux directeurs pour lutter contre l’inflation – ce qui n’était pas arrivé depuis plus de dix ans. Annoncées à l’issue d’une réunion du conseil des gouverneurs, délocalisée à Amsterdam, ces décisions, largement attendues, marquent un tournant historique après des années de politique d’argent pas cher et abondant. Alors que les autres grandes banques centrales ont déjà amorcé le resserrement de leur politique monétaire, les gardiens de l’euro « ont l’intention de relever les taux directeurs de 25 points de base lors de la réunion en juillet », avant « une autre hausse en septembre », selon le communiqué de l’institution. Il s’agira de la première hausse de taux depuis mai 2011.

Dynamique de l’inflation accélérée par la guerre en Ukraine

Depuis décembre, la BCE a été surprise par la dynamique de l’inflation, qui s’est encore accélérée à cause de la guerre en Ukraine. Elle a atteint 8,1 % sur un an en mai, avec quatorze pays (sur les dix-neuf que compte la zone euro) se situant au-dessus de cette moyenne. Du jamais-vu depuis l’instauration de la monnaie unique et un niveau quatre fois supérieur à l’objectif de la BCE, fixé à 2 %. Le reflux espéré des prix se fait attendre : la BCE a nettement relevé, jeudi, ses prévisions d’inflation jusqu’en 2024. L’institution s’attend désormais à une inflation de 6,8 % en 2022, qui devrait ensuite ralentir à 3,5 % en 2023, mais restant, avec 2,1 %, au-dessus de l’objectif des 2 %, même en 2024. Or « si les perspectives d’inflation à moyen terme persistent ou se détériorent », une augmentation plus importante des taux, supérieure à 25 points, « sera appropriée lors de la réunion de septembre », prévient la BCE. Depuis plusieurs semaines déjà, les « faucons » de l’institution, partisans d’une plus grande rigueur monétaire, plaident pour des hausses de 50 points de base. Lire aussi Article réservé à nos abonnés L’impossible équation de la Banque centrale européenne face au risque de stagflation
D’autres banques centrales confrontées à une forte inflation, comme la Fed (la Réserve fédérale américaine) et la Banque d’Angleterre, ont déjà engagé un cycle de relèvement des taux.

Fin des rachats d’actifs

La BCE s’est enfermée dans un calendrier de resserrement monétaire très progressif et y déroger maintenant mettrait à mal sa crédibilité. Ainsi, l’institution a confirmé, jeudi, qu’elle allait mettre fin « le 1er juillet » à ses rachats nets d’actifs, un préalable avant de commencer à relever ses taux. Fer de lance, avec les taux directeurs négatifs, de son action contre la déflation, ces programmes ont permis à la BCE d’acheter à tour de bras des obligations sur le marché pour faire baisser les coûts de financement et faire repartir l’économie. Le montant colossal de quelque 5 000 milliards d’euros d’obligations a été racheté par la BCE depuis 2015. Face à une inflation galopante, ce soutien n’est plus nécessaire. Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Inquiète de l’inflation, la Banque centrale européenne réduit son soutien monétaire
La sortie de la politique des taux négatifs entamée en 2014, qui a suscité des flots de critiques en Allemagne notamment, est délicate. Cette politique fait que les banques sont taxées – de − 0,5 % à ce jour – sur leurs dépôts confiés aux banques centrales faute de les distribuer via des crédits. La BCE doit veiller à ne pas casser une croissance européenne déjà sérieusement ébranlée par les conséquences de la guerre en Ukraine. L’institution a ainsi abaissé, jeudi, ses prévisions de croissance annuelle : la hausse du produit intérieur brut (PIB) devrait se limiter à 2,8 % en 2022 dans la zone euro, avant 2,1 % en 2023, contre respectivement 3,7 % et 2,8 % lors des dernières prévisions, en mars. La BCE doit aussi être attentive à ce qu’un relèvement de taux ne débouche pas sur une fragmentation sur le marché de la dette souveraine en zone euro, autrement dit à ce que les Etats européens n’empruntent pas à des niveaux trop différents. Lire le décryptage : Article réservé à nos abonnés Choc énergétique, croissance ralentie : en Europe, le spectre de la stagflation
Le Monde avec AFP