DIPLOMATIE – Paris et Berlin ont dû passer du statut de “couple” à “c’est compliqué” pour impliquer tout le monde. La mauvaise passe du couple franco-allemand ne déroge pas à la règle : comme dans toutes les histoires d’amour célèbres, chacun a son mot à dire. Il y a aussi celles comme Marine Le Pen qui jouent le rôle de petite amie faible, racontant à l’une des personnes concernées qu’elle n’a jamais cru à cette idylle. “Emmanuel Macron suit constamment l’Allemagne, mais l’Allemagne ne suit pas Emmanuel Macron. Défense, industrie, énergie… L’annulation du sommet franco-allemand montre, comme nous l’avions révélé, que les désaccords sont multiples », a tweeté le président du RN. D’autres accusent, comme le PS, l’un des deux partis d’être à l’origine de l’aliénation. “Les critiques récentes à l’égard de l’Allemagne restent soit alarmantes, soit surprenantes”, a par exemple déclaré le premier secrétaire Olivier Faure dans une tribune du Monde. Même du côté des acteurs de cette “histoire d’amour”, la réconciliation commence à poindre. “Il n’y a pas d’alternative à cette alliance car nous représentons environ 40% du produit intérieur brut de l’Europe et nous avons des liens historiques très profonds. Personne ne devrait remettre cela en question”, a déclaré Bruno Lemaire vendredi dans une interview au Frankfurter Allgemeine Zeitung, appelant à éviter “les propos blessants entre nos deux pays”. Mais comment en sommes-nous arrivés là ? Le point d’une brouille persistante qui trouve sa source dans la guerre en Ukraine et qui amène le binôme à la dernière étape avant la rupture : le report du traditionnel conseil des ministres franco-allemand initialement prévu mercredi 26 octobre. Il est remplacé par un simple déjeuner de travail à l’Elysée où Emmanuel Macron reçoit le chancelier Olaf Scholz sans déclaration prévue à la presse.

Une guerre qui change tout

Le 24 février, la Russie entre en guerre contre l’Ukraine. Cela a d’énormes implications pour l’Europe, en termes de sécurité et d’énergie. Pour l’Allemagne, c’est tout un état d’esprit qu’il faut revoir, car elle dépend à la fois des Etats-Unis pour la sécurité et de la Russie pour l’énergie. Et pour cause, avant l’invasion sous Vladimir Poutine, le gaz russe représentait pas moins de 55% des importations allemandes. Cela plaça Berlin dans une position délicate et, selon certains, provoqua une petite crise d’orgueil sur le Rhin. “Pendant des années, les Allemands ont fait les mauvais choix, notamment dans l’énergie et la défense. Aujourd’hui, alors que tout évolue rapidement, la situation tend à donner raison aux positions traditionnelles de la France. C’est insupportable pour les Allemands qui veulent rester les patrons. Leur nomenclature militaro-diplomatique est dirigée contre la France, bien plus que la population”, observe Jean-Dominique Giuliani, président de la Fondation Robert Schuman, dans L’Opinion. De fait, la France et l’Allemagne, qui se considèrent comme les forces motrices de l’Union européenne, ont multiplié leurs positions divergentes.

Ces choix stratégiques bousculent Paris

Il n’y a pas d’amour sans preuve d’amour. Et compte tenu des derniers choix stratégiques faits par Berlin, Paris a de vraies raisons de se sentir délaissée. Peu après le déclenchement de la guerre en Ukraine, l’Allemagne a annoncé la modernisation de son appareil de défense, à travers la création d’un fonds spécial de 100 milliards d’euros. S’il est initialement perçu favorablement par Paris, où l’on suppose que la France ne sera pas en mesure d’assurer durablement le rôle de seule puissance militaire de l’UE, cet effort décevra rapidement. Et pour cause, les Allemands se sont tournés principalement vers les États-Unis pour l’équipement (notamment pour l’aviation), alors qu’Emmanuel Macron a longtemps appelé à une domination européenne en matière de défense, dans un contexte où l’Allemagne rechigne à prendre la deuxième place en France. Projets industriels de défense allemands tels que l’avion et le char du futur (Scaf et MGCS). Ce Paris tendu, qui comme un mari perçoit les premiers signes d’éloignement, a vu ses craintes se confirmer. Le 14 octobre, Olaf Solz a lancé un projet de bouclier antimissile en s’associant à 14 pays membres de l’OTAN. Un appareil doté d’équipements allemands, américains et israéliens, distanciant davantage les projets européens de défense promus par Emmanuel Macron. Ce qui, comme prévu, a été vécu comme un délit à Paris.

Grandir et mauvaises manières

En plus de ces différences de sécurité, il existe également des divisions économiques. Début octobre, l’Allemagne a annoncé – sans prévenir la France – un plan de soutien de 200 milliards d’euros à son économie face à la flambée des prix de l’énergie. Ce qui, encore une fois, a été mal perçu en France, où l’on pousse à plus de solidarité européenne dans les réponses à la crise. Dans Les Echos, Emmanuel Macron, qui se dit agacé d’être mis devant le fait accompli, a lui-même critiqué le potentiel “effet déstabilisateur” que ce plan pourrait avoir en Europe. D’autant plus que cette relance, qui augmente les dépenses allemandes, s’opère dans le pays aux déficits les plus importants par rapport aux autres membres de l’UE. Avant le Conseil européen de jeudi, le chef de l’Etat a publiquement élevé la voix sur Berlin, estimant que ce n’est “pas bon pour l’Allemagne ou pour une Europe qui s’est ‘isolée’”. D’autant plus qu’il existe d’autres différences, cette fois au niveau énergétique. Du côté allemand, on considère que le nucléaire n’est pas l’énergie du futur, alors que Paris considère au contraire qu’il est nécessaire dans un mix énergétique visant à parvenir à une économie décarbonée. Deux approches opposées qui ont des conséquences, notamment sur le marché européen de l’électricité, sur lequel la France et l’Allemagne expriment leurs désaccords. A Paris, des appels sont lancés pour un plafonnement du prix du gaz naturel utilisé pour produire de l’électricité, ce que refuse Berlin qui – compte tenu de sa dépendance au gaz naturel – y voit un risque d’approvisionnement, craignant qu’un prix maximum n’incite les producteurs à s’éloigner du marché européen. Pas de problème, Emmanuel Macron a pris sur lui de négocier sur ce dossier avec d’autres pays européens. Résultat : des tensions s’accumulent et un couple qui enchaîne les désaccords, aussi diplomatiques soient-ils. “La France est notre allié le plus proche” et “les relations sont tout à fait justes”, a commenté ce vendredi un porte-parole du gouvernement allemand lors d’une conférence de presse, alors qu’une réunion parlementaire impliquant les deux pays a (également) été annulée. “Il y a eu beaucoup de spéculations ces derniers jours, mais beaucoup sont infondées”, a assuré le même porte-parole, comme pour relativiser l’analyse. Mercredi prochain, Emmanuel Macron recevra Olaf Solz à Paris. L’occasion pour les deux dirigeants de recoller les morceaux et de tenter une relation sérieusement chancelante. Voir aussi sur Le HuffPost : Vous ne pouvez pas voir ce contenu car vous avez refusé les cookies liés au contenu de tiers. Si vous souhaitez voir ce contenu, vous pouvez modifier vos préférences.