On pourrait continuer longtemps cette liste : les “bandes de chaleur”, ou “bandes de réchauffement global” en français, sont éparpillées un peu partout depuis leur création en 2018 par le climatologue britannique Ed Hawkins, 45 ans. “Je n’aurais jamais imaginé que j’assisterais un jour à la Fashion Week de Londres ou que je participerais à un shooting pour un maillot de football. Ce n’est pas sur la liste des activités habituelles d’un climatologue”, dit-il. A l’occasion de la COP27, qui se déroule du 6 au 18 novembre à Charm el-Cheikh (Egypte), franceinfo vous raconte l’histoire de ces groupes au succès fou. Au début, ils sont un bébé et un “accro” au crochet. Ellie Highwood, une collègue scientifique d’Ed Hawkins, prépare une couverture comme cadeau de naissance pour la fille d’un collègue. Elle décide de s’inspirer d’une pratique très courante chez les crocheteuses : faire un rang par jour et se servir de la température ou de la couleur du ciel à ce moment-là pour choisir la couleur. “Je me demandais à quoi ressemblerait la plage des températures mondiales sur une couverture. Et comme on explique souvent le réchauffement climatique en comparant les gaz à effet de serre à une couverture, j’ai trouvé intéressant de faire le lien”, a-t-il expliqué à era sur son blog. . Quelques mois plus tôt, une autre scientifique, l’Américaine Joan Sheldon, avait eu une idée similaire. D’accord, je suis accro au crochet. C’est ma “couverture qui réchauffe la planète” – des rayures colorées selon l’anomalie T des 100 dernières années… pic.twitter.com/dm9P7cLvzd — Ellie Highwood (Elle/Elle) (@EllieHighwood) 10 juin 2017 Voici Ed Hawkins. Le scientifique de l’Université de Reading (Royaume-Uni), co-auteur des deux derniers rapports du GIEC, s’intéresse depuis longtemps à la meilleure façon de représenter le réchauffement climatique. “Je créais des visualisations que je trouvais géniales, mais personne ne les aimait”, plaisante-t-il. Sa « spirale climatique » n’a jamais échappé aux cercles spécialisés. Un an après avoir vu la couverture de son collègue, il a recommencé en simplifiant le code couleur. En bleu, les années plus froides que la température moyenne entre 1971 et 2000. En rouge, les années les plus chaudes. Le résultat montre bien le réchauffement observé ces dernières années du fait des activités humaines (consommation de pétrole, de charbon et de gaz naturel, déforestation). Le succès est immédiat : en une semaine, Warming Stripes est téléchargé un million de fois sur le site créé pour l’occasion. Comment s’explique un tel succès ? Ed Hawkins attribue cela à la beauté de ces bandes et à leur simplicité (elles sont dépourvues d’axes et de chiffres), ce qui les rend compréhensibles “pour les personnes qui n’aimaient pas les mathématiques ou les sciences à l’école”. La scientifique Mélissa Gomis, qui a travaillé sur les graphismes du dernier rapport du GIEC en tant que membre de l’équipe technique, salue un exercice de communication visuelle très réussi. “Ils contiennent des données scientifiques, mais c’est presque plus une œuvre d’art. Le but n’est pas de communiquer le concept d’anomalie de température utilisé ici, c’est de donner une idée du changement climatique”, explique ce spécialiste du graphisme. “Il est universel : le graphique peut être compris par un lauréat du prix Nobel de physique comme par des personnes éloignées de la science.” Mélissa Gomis, experte en visualisations scientifiques chez franceinfo Simples à comprendre, les films sont aussi facilement disponibles, à toutes les échelles (monde, pays, ville) et dans tous les types de médias. Ed Hawkins a proposé une version où différents futurs climatiques sont façonnés par nos choix et nos décisions. Sa collègue Valérie Masson-Delmotte ne se contente pas de les utiliser dans ses présentations au gouvernement ou dans les écoles. Elle les porte souvent en foulard, cadeau d’Hawkins à la COP26 de Glasgow en 2021. “Quand je prends le RER, les gens me crient dessus à propos de ce foulard, disent ‘hey, c’est le code-barres du climat’, sans me connaître”. soumet le co-président du DEPS groupe 1. “Il est assez rare qu’un objet scientifique entre dans la culture populaire.” La climatologue Valérie Masson-Delmotte portant son foulard “Warming Stripes”, le 4 mai 2022 à l’Elysée. (DANIEL PIER/NURPHOTO/AFP) Il suffit de pousser les portes du Reading FC, l’équipe professionnelle de football de la ville où travaille Ed Hawkins, pour se convaincre de cette réalité. Les zones d’évolution locale de la température sont réduites sur les manches des maillots pour la saison 2022-2023 de ce club qui évolue en deuxième division anglaise. L’idée est née lors d’une conférence téléphonique avec l’université. “J’ai vu les rayures derrière lui. Je pensais que c’était une peinture mais il a expliqué ce qu’elles représentaient”, se souvient le directeur commercial du Reading FC, Tim Kilpatrick. C’est lui qui propose de les afficher sur la chemise. “Avec l’université, nous voulions que ce message touche un nouveau public, en l’occurrence nos supporters”, poursuit le directeur commercial. Ce choix est la partie la plus visible d’une série de décisions visant à réduire l’empreinte environnementale du club : panneaux photovoltaïques, note “climat” pour les différents menus servis dans le stade, maillots en polyester recyclé… Deux footballeurs du Reading FC, Shane Long et Tom Ince, le 8 août 2022 à Reading, en Angleterre. (JASONPIX / SHUTTERSTOCK / SIPA) La créatrice de mode Lucy Tammam a découvert Warming Stripes grâce à une amie. L’entrepreneuse de 39 ans, qui revendique une démarche “durable” et écologique, a tout de suite eu envie de confectionner des robes. “Mon premier objectif est de faire de beaux vêtements respectueux de l’environnement. J’aime aussi beaucoup l’idée d’utiliser la mode comme voie vers l’activisme et l’éducation”, dit-elle par e-mail. . Les bandes sont maintenant disponibles sur les robes, les foulards, les châles et les manteaux. “La plupart des réactions sont positives, avec des gens heureux d’avoir ainsi découvert les ‘rayures’”, témoigne le créateur. Défilé de mode Tammam le 16 septembre 2022 à Londres, Royaume-Uni. (STEVE BEST / MAISON DE TAMMAM) Réactions positives, et après ? L’impact spécifique des séquences de réchauffement reste difficile à évaluer. “Des millions de personnes les ont vus et les ont utilisés. Il est très difficile de dire s’ils ont fait une différence”, résume Ed Hawkins. Au lieu de cela, il voit son graphique comme un nouvel instrument dans sa “boîte à outils” pour communiquer et “démarrer une conversation” sur le réchauffement climatique. Le scientifique britannique raconte comment un Américain, qui avait recouvert sa voiture électrique de rayures, a pu susciter des discussions sur le sujet lors de salons automobiles. “Je pense que c’est beaucoup plus efficace que de suivre un cours sur le sujet. Les gens sont intrigués et se posent des questions”, explique le climatologue. “C’est une façon de parler du climat dans différents cercles sociaux. C’est généralement ce que la communauté climatique devrait faire : inspirer cette conversation dans d’autres cercles.” Ed Hawkins, climatologue chez franceinfo Pour favoriser une large diffusion, des rubans chauffants sont fournis gratuitement. “Les gens peuvent l’utiliser et nous ne pouvons pas dire non”, résume Ed Hawkins. Il assure qu’il n’a pas d’exemples négatifs en tête, mais le danger du greenwashing, c’est-à-dire leur utilisation par des acteurs peu respectueux de l’environnement pour verdir leur image, existe. On peut par exemple noter que le club de football de Reading n’a pas renoncé à renouveler sa gamme de kits chaque saison, une pratique qui incite ses supporters à consommer. Larry Fink, le tout-puissant patron du groupe de gestion d’actifs BlackRock, qui portait une écharpe aux couleurs des Warming Stripes en 2020, a annoncé en mai la fin de son soutien éphémère aux actionnaires pro-climat, rapporte Le Monde. Malgré cet angle mort, l’approche a fourni des informations aux défenseurs de la biodiversité. Miles Richardson, professeur de psychologie à l’université de Derby (Royaume-Uni), a développé cet été “Biodiversity Stripes” pour expliquer l’effondrement des populations de mammifères, d’oiseaux, de poissons, d’amphibiens et de reptiles. “Ils passent du vert de la nature au gris, pour représenter la perte de couleur à mesure que les espèces disparaissent. Le monde devient plus gris, plus urbain”, explique l’intéressé. Les chiffres proviennent du Living Planet Index de l’ONG WWF. Inspiré par les bandes climatiques @ed_hawkins, j’ai créé des bandes de biodiversité à l’aide des données @LPI_Science pour montrer comment le déclin moyen de 68 % de la population de mammifères, d’oiseaux, de poissons, d’amphibiens et de reptiles depuis 1970 est un voyage du vert au gris : image .twitter .com/dPmeyN7Qjn — Miles Richardson (@findingnature) …