franceinfo : Ces retraits russes, même s’ils sont encore difficiles à chiffrer, vous surprennent-ils ? Sylvie Bermann : Non, ce n’est pas très étrange. Jusque-là, la guerre ne se faisait pas sentir dans les grandes villes comme Moscou, Saint-Pétersbourg. C’est pourquoi Vladimir Poutine était indécis avant la mobilisation. Il a décidé de le faire à cause des revers militaires et parce qu’il a été critiqué en interne par la droite nationaliste et radicale, dont Kadyrov, qui est le chef de la Tchétchénie. Il l’a accusée de ne pas être efficace. Le choix qui s’opère est une mobilisation partielle, qui touchera 300 000 personnes, mais beaucoup plus qui ne savent pas si elles vont s’inscrire ou non. Alors il y a cette panique parce que personne ne veut mourir pour le Donbass. Cela pourrait-il poser un problème à plus ou moins long terme à Vladimir Poutine au niveau national ? Vladimir Poutine déteste faire la navette sur les routes. Il y en avait en 2012, juste au début de la guerre. Mais les sanctions sont très sévères puisque les manifestations sont interdites, la durée de la guerre également. C’est donc assez dissuasif. Ils n’avaient pas manifesté depuis le début de la guerre. De nombreuses arrestations avaient été effectuées. Près de 1 400 autres arrestations y ont été effectuées. 38 villes ont participé aux manifestations. Mais la vérité est qu’ils sont encore assez minoritaires. Aujourd’hui, Poutine est confronté à la fois à l’aile nationaliste et à celle des intellectuels ou de la bourgeoisie qui ne veulent pas aller mourir dans le Donbass. A votre avis, faut-il accorder un visa aux Russes qui quittent leur pays ? L’Allemagne, d’une part, s’est dite prête à les accueillir. La République tchèque et la Pologne sont contre. Ce sont des pays dans lesquels il y a toujours de l’hostilité envers les Russes. Je pense que nous devrions les accueillir, bien sûr. Il doit y avoir une certaine forme de pluralisme en Russie. Et ces Russes, s’ils rentrent un jour dans leur pays, si un jour la situation s’améliore, ils se seront trouvés face à d’autres regards, ils auront dialogué avec les pays occidentaux. Parce qu’en ce moment, la Russie est verrouillée et coupée de l’Occident. Je ne pense pas que ce soit notre rôle de l’enfermer davantage.