La politique était comme sa seconde peau. Il était tombé dedans trop tôt. Adolescent, lycéen à Paris, il dévore les journaux. Rien de ce qui se passait dans la Salle, sous cette capricieuse IVe République, ne lui était alors étranger. Amusez-vous dans ce théâtre. Et, depuis, son amour de la politique ne s’est jamais démenti, ce sage commentateur à lui, son casseur de cercles, non corrompu par la formule choc, moitié Saint-Simon moitié Mauriac, ces deux messieurs. “La politique, disait-il, j’y ai consacré ma vie et elle me l’a rendue. « Philippe Alexandre vient de décéder à l’âge de 90 ans dans sa villégiature du Touquet. Pendant des années, à partir de 1969, son éditorial RTL ponctue le feuilleton d’actualité.

flèches pointues

Dire qu’il était dur était un euphémisme. Son discours était effrayant. “L’humour, la mauvaise foi et l’exagération, ce n’est pas le propre de la fonction d’éditeur”, avait-il confié à l’auteur de ses lignes, en 2016. La légende lui a prêté tant de procès en diffamation qu’il avait écrit des livres, qu’il c’est-à-dire une bonne vingtaine. En 1982, François Mitterrand va jusqu’à demander à Jacques Rigaud, le patron de RTL, sa tête. Non seulement le président de la République ne l’aura pas, mais il continuera d’être la cible des flèches de plus en plus tranchantes de l’éditeur. Comme par hasard, ce dernier a frappé à la porte de la gare de la rue Bayard, en 1996, après la fusion de la Compagnie luxembourgeoise de télédiffusion (CLT) avec le groupe allemand Bertelsmann : la même année de la mort de Mitterrand. Lire aussi Philippe Alexandre : “Mitterand n’était pas un homme politique” “Mitterand était un converti au socialisme, disait Philippe Alexandre, et les convertis sont les pires.” C’est peu dire qu’il a été très tôt allergique au charme de la personne concernée. « Tontonmania » n’était pas le style de la maison, et le titre de son dernier éditorial sur Mitterrand résumait bien son état d’esprit : « Mort d’un Dom Juan ». « Il me fascinait de loin, raconte le journaliste, c’était un artiste politique, mais pas un politicien. Il n’avait aucun sens de l’intérêt général. Son œuvre est d’avoir conduit les socialistes au pouvoir et lancé la carrière du FN. Abolir la peine de mort ? N’importe qui l’aurait fait. » Ainsi s’est-il exprimé dans Le Figaro en janvier 2016, lors du lancement de Le Dernier monarque, recueil de ses quatorze chroniques sur l’ancien chef de l’État, avec Robert Laffont. Lire aussi RTL ne diffusera plus sur les grandes ondes en 2023 Philippe Alexandre est entré dans le journalisme de province, à L’Oise Libérée, avec le seul diplôme en poche. A une époque où les écoles spécialisées dans l’éducation aux médias n’étaient pas encore bien implantées. Faut-il y voir une relation de cause à effet ? Sans aucun doute. Depuis, le langage du bois, formules toutes faites et éléments de langage envahissent colonnes et disques. Il lui écrivait lentement, longuement, sûr de son style et de la cohérence de son raisonnement. Ne supprimez jamais !

Parodie de “Guignols”

Il a été un “pionnier de la ligne radio-grattage et point sec” pour Serge July. Avec le co-fondateur de Libération, ils formeront un sacré duo de duo à la télévision, dont la caricature dans “Guignols de l’info”, sur Canal +, multipliera la popularité. Dans cette parodie, Julius et Alexandre sont toujours prêts à boire une liqueur de poire et à manger des « cacahuètes » : un débat politique qui mime la contre-discussion au bistrot. Lire aussi Giscard, Mitterrand, Chirac… Les derniers secrets de la République, par Franz-Olivier Giesbert Son Dictionnaire amoureux de la politique, publié aux éditions Plon en 2011, donne la mesure de l’indépendance de caractère. Comme nous le disons aujourd’hui, il n’a jamais été “mainstream”, embrassant la vision dominante. Dans ce livre, il confirme le lieu du meurtre de Robert Bullen, “disparu dans six pouces d’eau”. Il voit en Valéry Giscard d’Estaing un « monarque outrancier ». Il dit que Raymond Barre ne l’a jamais reçu à Matignon : Philippe Alexandre a eu tort de s’étonner que le premier ministre, tout juste nommé, reçoive un permis de construire à Saint-Jean-Cap-Ferrat, le périmètre réservé aux milliardaires. Il dresse un portrait au vitriol de Pierre Mendès-France, “l’homme le plus bête que j’aie jamais rencontré” et qui a abusé de sa femme. En revanche, il jette un regard plutôt sympathique à Guy Mollet qui lui aurait confié qu’au départ “De Gaulle était très hostile à l’élection du président de la République au suffrage universel”. Martine Aubry, quant à elle, a eu droit à un traitement à part. La Dame des 35 heures, le titre du livre écrit avec sa femme Béatrix de l’Aulnoit, est devenu un surnom avec un succès étonnant. À lui seul, il aurait pu faire fortune ses inventeurs s’il y avait eu des droits d’auteur. L’ancien ministre du Travail ne leur pardonnera jamais. “Tout de Martine Aubry est là : une incapacité normale à reconnaître ses imperfections, ses erreurs, ses échecs”, a souligné Philippe Alexandre. Lire aussi De Gaulle, Mitterrand, Chirac… Le malheur de la réélection Était-il droitier ou gaucher ? Tous les camps méritaient ses performances meurtrières et mémorables. Une audace qu’il mettra, à la fin de sa vie, passant d’une scène à l’autre, dans la revue de théâtre du magazine Lire. On n’oubliera pas non plus son goût pour l’histoire qui l’a inspiré à écrire plusieurs livres avec Béatrix de l’Aulnoit. Les deux derniers en particulier : Clementine Churchill. La Femme Lion (Tallandier, 2015) et Thomas Cook 1808-1892. L’inventeur du voyage (Robert Laffont, 2018). Sans oublier celui qu’il a consacré à sa propre histoire, lui qui est né à Paris le 14 mars 1932. Ma race plus que française (Robert Laffont 2017) est le parcours fascinant, à travers les siècles et en France, de sa famille d’origine juive. origine. Une histoire qui vaut la peine d’être mentionnée pour vaincre certaines ignorances…