Posté à 12h00
                        Gabriel Béland La Presse                     

“Moi, je ne me suis pas senti soutenu. Comme si c’était une erreur que mon fils se soit engagé dans l’armée ukrainienne pour aider le peuple ukrainien », raconte Mme Sirois. La mère de famille a accepté d’accorder une entrevue à La Presse pour parler de son deuil. Mais elle décrit aussi comment, en tant que mère d’un combattant étranger, elle s’est sentie seule après la mort de son fils. PHOTO OFFERTE PAR LA FAMILLE Émile-Antoine Roy-Sirois et sa mère, Marie-France Sirois, à l’occasion du 30e anniversaire du jeune homme Ce dernier, Émile-Antoine Roy-Sirois, est mort le 18 juillet en Ukraine alors qu’il combattait les Russes près de la ville de Shiversk, dans la région de Donetsk. Lui et trois autres combattants étrangers – deux Américains et un Suédois – ont été tués par des tirs de chars. Selon divers récits, Émile-Antoine est mort en secourant un Américain qui venait d’être blessé lors d’une attaque russe d’une rare intensité. “Ce qui m’aide dans le deuil, c’est que je connaissais très bien mon fils. Je connaissais ses motivations, ses raisons d’être là, dit-il. Je sais que c’est ce qu’il voulait, qu’il était heureux là-bas, qu’il avait un sentiment d’accomplissement. » Je pense qu’il pensait toujours qu’il reviendrait. Mais il vaut mieux que je me dise qu’il a été heureux jusqu’au bout. Sinon, je ne survivrais pas. Marie-France Sirois, pour son fils mort au combat Émile-Antoine “n’était pas un soldat”, note sa mère. Le joueur de 31 ans, qui a grandi dans le Bas-Saint-Laurent, avait étudié la philosophie, puis à HEC Montréal. Cependant, il a toujours été passionné par l’histoire et les conflits. En 2014, il intègre même la Légion étrangère, un corps de l’armée française qui regroupe des militaires de diverses nationalités. Son décès n’avait duré que quelques mois, explique sa mère. Lorsque la Russie a envahi l’Ukraine, il travaillait comme spécialiste de l’expérience client pour une entreprise de Montréal. Puis, fin février, le président ukrainien a fait appel à des volontaires étrangers. Malgré les avertissements d’Affaires mondiales Canada et de sa famille tentant de l’en dissuader, il est parti pour l’Ukraine fin mars. “Il était comme, ‘Maman, j’ai pris une grande décision. Tout le monde a essayé de l’empêcher de partir. Mais il n’y avait rien à faire », explique sa mère. DOSSIER PHOTO LA PRESSE CANADIENNE Émile-Antoine Roy-Sirois, 31 ans, est décédé le 18 juillet en Ukraine. «Je pense que cela lui est venu d’une manière indescriptible. Emil n’était pas une demi-mesure. Quand il a décidé qu’il en avait assez vu, il est parti. »

Rapatriement du corps

La mort de son fils a déclenché une série de démarches pour rapatrier son corps. Elle dit s’être sentie abandonnée par Affaires mondiales Canada. « Affaires mondiales Canada était censé m’aider, mais rien ne se passait. À un moment donné, je leur ai demandé de s’occuper de moi », raconte-t-il. La dame d’Affaires mondiales Canada était très gentille mais ne pouvait pas vraiment m’aider. Il a dit que c’était à moi de m’occuper de la maison funéraire là-bas. Il m’a appelé juste pour voir comment j’allais. Ils ne sont pas intervenus. Marie-France Sirois Le consul d’Ukraine à Montréal a soutenu Mme Sirois. Le salon funéraire et l’armée ukrainienne ont finalement organisé le rapatriement des restes.

Ce n’est pas une surprise

Selon l’historien militaire Tyler Wentzell, chercheur spécialisé dans le droit et l’histoire des combattants étrangers, la réaction des autorités canadiennes n’a rien d’étonnant. “Les combattants étrangers ont toujours été un casse-tête pour les gouvernements car ils vont généralement à l’encontre de la politique officielle”, explique l’auteur de Not for King or Country, à propos des volontaires canadiens qui ont combattu pendant la guerre civile espagnole. Dans le cas de l’Ukraine, la ligne est mince, car le Canada soutient Kyiv, non seulement dans ses déclarations, mais en envoyant de l’argent et du matériel militaire. Mais Ottawa a été très clair sur les militants, se souvient ce doctorant de l’Université de Toronto. « Le gouvernement a été très clair : quiconque y va y va en son propre nom, pas au nom du Canada », note Tyler Wentzell. « Plus le Canada prend des mesures suggérant qu’il soutient ou reconnaît ces soldats, plus il flirte dangereusement avec l’idée qu’ils sont des agents de l’État. »

La question de la reconnaissance

Cependant, une question demeure : comment les Canadiens qui sont partis combattre en Ukraine seront-ils honorés à titre personnel ? M. Wentzell rappelle qu’il existe de nombreux monuments à la mémoire des volontaires canadiens partis combattre en Espagne entre 1936 et 1939. Cependant, ils n’ont jamais été reconnus comme anciens combattants par Ottawa. Marie-France Sirois a commencé à réfléchir à cette question. Il a décidé de se tourner vers l’Ukraine et la communauté ukrainienne du pays. “Mes alliés sont les Ukrainiens et je les rejoindrai dans la célébration. Le pot, je l’ai ici et nous n’avons pas encore décidé quoi en faire, dit-il. Il sera jugé avec eux. J’aimerais qu’il y ait quelque chose, peut-être une plaque commémorative. » Elle pense que le premier anniversaire de la mort de son fils serait un bon moment. « Ce serait formidable si cela coïncidait avec la victoire de l’Ukraine. »