“J’aimerais juste qu’il me reste du temps pour profiter de mes petits-enfants.” Avant que le jury du tribunal correctionnel du Rhône ne se retire pour délibérer et décider de son sort, Rose Filippazzo s’est exprimée à travers des sanglots. Ce vendredi après-midi, le procureur général a requis sa condamnation à 16 ans de prison pour le meurtre de son mari Michel Zirafa, d’une balle dans la tête le 16 septembre 2018. « Je ne suis pas une personne dangereuse, clame-t-il une dernière fois. Je ne suis pas fou de sortir tirer dans la rue.” Tout au long des trois jours d’audience, la défense de l’accusée a tenté de prouver qu’elle était avant tout une femme abusée, poussée à bout, lasse de la “répétition des humiliations” et de “l’accumulation des abus” depuis 28 ans. Le témoignage de ses filles, entendu jeudi, est venu attester de cette thèse. Et celui de sa sœur.
Une “dégradation des femmes” constante
Ils nous ont aussi permis de plonger au coeur du quotidien de ce “couple piégé et distant”, de mettre en lumière “l’influence culturelle”, l’influence de leurs familles respectives. Deux familles siciliennes, cousines, dont les enfants se sont mariés. Deux familles où “l’humiliation des femmes” était continue, systématique, rappelle aussi le psychologue Xavier Renault dans son témoignage. L’enfance et l’adolescence de Rose Filippazzo ont été “marquées par l’assujettissement”. La relation amoureuse établie très tôt avec Michel ne sera finalement que la reproduction d’un schéma perpétué de génération en génération. “Les violences physiques et verbales étaient similaires” à ce qu’elle avait déjà vu ou subi dans sa famille, ont poursuivi les psychiatres spécialisés. Sa vie peut se résumer ainsi : une “soumission permanente à des figures masculines tyranniques”. “L’acte meurtrier nous a permis de sortir de l’étau”, plaide Liliane Daligand, déclenchant à son tour un processus d’influence. Mais pour Thierry Luchetta, procureur général du tribunal correctionnel, Rose Filippazzo “n’était pas la marionnette de son mari”. « Celle qui aime se présenter comme une femme faible ne manquait pas de caractère. Il n’a pas subi de choses passives, il supporte le temps des contrôles. Elle n’a pas le comportement d’une femme morte. Il est également sujet aux accès de colère et aux accès de jalousie. »
“La France n’est pas l’Iran ou l’Afghanistan”
Préférant accorder peu de crédit aux témoignages des proches du couple, le juge estime que l’accusée préfère “diaboliser son mari afin de minimiser son crime”. “D’abord, nous tuons et ternissons sa mémoire”, gronde-t-il. Quant aux violences qu’il a subies, il n’a “pas d’opinion”, et “aucune certitude”. “Quand on peut tuer quelqu’un, on peut se faire du mal”, lâche-t-il à Rose Filippazzo, devant un public quelque peu ébahi. “Le caractère habituel des violences ne me semble pas établi”, poursuit Tierry Luchetta. Il ne croit pas non plus à l’impossibilité d’un divorce de peur d’être tué : “La France n’est pas l’Iran, ni l’Afghanistan”. Un à un, les membres de la famille de l’accusé quittent la pièce, comme furieux. “Quand une femme tue son mari ou son partenaire, c’est aussi grave que lorsqu’un homme tue sa femme ou son pays. Nous n’avons pas besoin de faire la différence. Rien ne justifie un meurtre”, conclut le procureur général. Sur le banc de la défense, Me Janine Bonaggiunta ne décolle pas. “Je n’ai pas la même lecture du dossier que vous”, répond-il aussitôt. Ces trois jours de conversation nous ont permis d’entrer dans la sphère intime de ce couple. Ils mettent en lumière le fléau toujours croissant des violences conjugales. Une femme meurt tous les deux jours et c’est quelque chose. »
“Ce procès doit être celui de toutes les femmes victimes de violences”
Au moment du procès, l’avocate qui a déjà défendu Jacqueline Sauvage et Valérie Bacot, se souvient qu’elle se bat depuis 15 ans contre les violences faites aux femmes. “Je suis juste terrifié. Les mentalités ne changent pas, la preuve oui », lance-t-il en direction du procureur général. “Donner une première claque n’est pas un droit. 38% des femmes maltraitées ont été assassinées par leur partenaire. Mon client a vécu l’horreur. Ce drame a été causé par des années de silence”, insiste-t-elle, avant de conclure pour le jury : “Ce procès doit être celui de toutes les femmes victimes de violences.” Dans la salle, Philippe écoute attentivement. L’amant de Rose Filippazzo est venu témoigner vendredi matin pour l’aider. “Je ne vais pas la laisser tomber”, dit-il en cambrant le dos couvert par sa veste de motard. Je ne sais pas quelle peine il écopera, mais j’attendrai aussi longtemps qu’il le faudra. « Réponse le soir.