La situation était si problématique que la Municipalité a dû verser une compensation financière aux travailleurs entre 2017 et 2020, en échange de leur silence.
Dans une interview, le préfet de police Fady Dagher reconnaît également qu’un “climat pourri”, voire “toxique”, persiste depuis des années dans un département.
Photo de Martin Alarie
Notre enquête révèle que le Service de police du Canton de Longueuil (SPAL) a mandaté deux enquêtes externes au cours des six dernières années pour tenter de clarifier la situation. L’un concernait les fonctionnaires, l’autre concernait les problèmes avec les policiers (voir les deux textes ci-dessous).
“A un moment, j’ai pensé à me suicider dans les locaux du commissariat”, raconte Pascal Pilon, un ancien fonctionnaire. Je voulais leur faire comprendre toute la douleur qu’ils me causaient.”
La situation contraste avec l’image que veut projeter le dirigeant Fady Dagher, celle d’un homme qui place la santé mentale au centre de ses priorités. Il vante ses initiatives à cet égard dans la nouvelle télésérie révolutionnaire RDI Police, dans laquelle il insiste sur l’importance d’un « changement de culture » et « d’une approche plus humaine et sociale » du maintien de l’ordre.
Image gentille
Ironie du sort, M. Dagher est à l’affiche ces jours-ci d’une série de Radio-Canada dans laquelle il vante l’approche humaine de son organisation.
Cependant, plusieurs sources à qui nous avons parlé ont dénoncé l’inaction de leur chef sur les problèmes de santé mentale affectant sa propre force de police. “Monsieur. Dagger était au courant de la situation. Ce que je ne comprends pas, c’est pourquoi il n’a pas agi”, explique M. Pilon. Une version confirmée par Nathalie Roger, une policière récemment retraitée, qui a été témoin d’actes de harcèlement de la part de managers. “Je lui ai dit plusieurs fois : ‘M. Dagher, si tu ne fais rien, tu auras un mort sur la conscience. Quelqu’un mettra fin à ses jours.” Nous avons également contacté le Syndicat des fonctionnaires qui exprime de son côté ses regrets pour le “climat malsain, voire toxique” que vivent plusieurs de ses membres, ce qu’il insiste notamment en raison de “la complaisance du Service envers les agents défaillants qui sont encore en l’organisation”. Simon Beaulieu, conseiller de la section locale du Syndicat canadien de la fonction publique, estime que tant la Ville que la direction de la SPAL doivent « clairement s’engager à changer la culture du Service et ne pas faire preuve d’aveuglement ». Pourquoi ne pas licencier tous les responsables du climat toxique ? « Je comprends que les gens se méfient, en même temps, nous avons des obligations légales en tant qu’employeur. On ne peut pas agir sur les rumeurs », répond la mairesse Catherine Fournier. Photo de Chantal Poirier
La mairesse de Longueuil Catherine Fournier, élue en novembre 2021, ne veut pas d’une “culture du silence” dans la ville.
Pourtant, il encourage les employés à « s’exprimer ». “Nous ne voulons pas d’une culture du silence”, insiste-t-il.
De plus, cela n’empêche pas de prendre des moyens supplémentaires pour rétablir la confiance. « J’aurai certainement d’autres discussions avec M. Dugger. […] Nous avons la responsabilité de voir quelles mesures supplémentaires pourraient être prises », dit-il.
AMBIANCE DE « TERREUR » CHEZ LES PATROUILLEURS
La police de Longueuil devait mandater en 2021 une firme extérieure pour enquêter sur un éventuel “climat d’intimidation ou de représailles” dans l’une de ses équipes de patrouille.
Photo de Martin Alarie
La mairesse Catherine Fournier parle d’une situation qui “a plus dégénéré que d’habitude” en raison d’un “contexte particulier lié à la pandémie où il y avait beaucoup moins de communication dans les groupes”.
De son côté, le chef de la police Fadi Dagger explique que la situation s’est envenimée après qu’un responsable ait “sanctionné” certains de ses employés. Ces officiers fautifs auraient “dit certains mots et fait certains gestes” inappropriés ciblant “certains segments de la population”, a-t-il dit, refusant de donner plus de détails.
Photo de Martin Alarie
Le chef affirme avoir rencontré chacun des officiers impliqués – une dizaine – et que la situation va maintenant revenir à la normale. Il refuse de rendre public le rapport, mais assure que ce dernier n’aurait pas constaté de harcèlement.
Selon 2021 courriels obtenus grâce à une demande d’accès aux documents, ce sont surtout les gestionnaires qui ont affirmé avoir été victimes d’intimidation et de harcèlement.
« Il est urgent d’agir dans cette situation, car de nombreux membres de l’équipe demandent des changements de quart de travail et/ou signalent que leur état de santé se détériore. […]», peut-on lire dans les courriels du conseiller en ressources humaines de la Municipalité.
Il contacte alors Claude Riverain, président du cabinet conseil Groupe Trigone. Son entreprise venait de décrocher un contrat d’environ 35 000 $ — à 220 $ de l’heure — pour enquêter sur « le climat de travail au sein de l’équipe [qui] ce serait très problématique.
« Compte tenu du nombre d’employés dans l’équipe et de son mandat, il est très important de s’occuper de la situation dans les plus brefs délais », précisait notamment le sommaire décisionnel contractuel.
Apparemment, le rapport a pu cibler certains comportements problématiques : « C’est grâce à [la conclusion de cette enquête] qu’il sera possible de mettre en place des mesures qui permettront à chacun de travailler dans un environnement de travail sain et exempt de harcèlement psychologique et sexuel », a écrit Trigone aux participants au sondage peu après la remise du rapport.
Le syndicat de la police a refusé de commenter la situation.
Photo de Pierre-Paul Poulin
Pascal Pilon a été indemnisé par la ville de Longueuil en raison du climat toxique qu’il a subi alors qu’il travaillait au service du renseignement policier. En mortaise, on voit un rapport qui se conclut par « une gestion basée sur la peur, l’intimidation » et « le harcèlement ».
“Il m’a souvent crié dessus, m’a traité de stupide, d’incompétent. Il nous a fait nous sentir bon marché pour tout et pour rien.”
Pascal Pilon se souvient avec émotion de son patron lorsqu’il travaillait au service du renseignement de la police.
L’officier en question, toujours employé par la SPAL, n’a pas fait une seule victime.
“Il m’a traité comme une bande de vaches”, raconte une ancienne employée, qui a refusé de s’identifier par crainte de représailles. À un moment donné, il vient vous chercher.”
Un autre agent de ce service a été promu après avoir eu un comportement répréhensible.
“Il nous observait, nous reprochait chaque petite erreur, fouillait dans nos bureaux”, a déclaré une autre source, qui a demandé à ne pas être nommée.
La situation était si toxique qu’une douzaine d’employés de ce service sont tombés malades, sans compter ceux qui ont été contraints à la retraite anticipée.
En août 2017, conscients que le climat de travail était devenu intolérable, le syndicat et la police ont fait appel à des enquêteurs extérieurs.
Le constat est cinglant : « Certains cadres pratiquent une gestion basée sur la peur, l’intimidation, le harcèlement et l’improvisation », indique le rapport de l’entraide collective du Conseil régional de Montréal métropolitain de la FTQ, déposé en preuve au Tribunal administratif du travail.
Tous les travailleurs consultés “montrent des signes de grande souffrance et de détresse psychologique”, poursuit le rapport.
L’un des cadres aurait même dit aux chercheurs qu’”un employé trop content n’est pas productif, contrairement à celui qui a peur”.
La mairesse Catherine Fournier et le chef de la police Fady Dagher conviennent que le rapport est « dévastateur ». Le document préconise une restructuration majeure des cadres et s’interroge sur la pertinence des dirigeants en place.
Photo Martin Alaïe …