Le mois dernier, cet enfant a dû être accouché par césarienne, une intervention de dernier recours visant à prévenir la transmission lorsque la charge virale de la mère est jugée trop élevée au moment de l’accouchement. Malgré cette intervention, le nouveau-né a contracté le virus, déplore la Dre Isabelle Boucoiran, obstétricienne-gynécologue et directrice du Centre d’infectiologie du CHU Sainte-Justine. La thérapie antirétrovirale, administrée en fin de grossesse, n’a pas empêché la transmission dans le ventre au bébé. Le Dr Boucoiran s’inquiète de voir de plus en plus de femmes immigrées séropositives référées trop tardivement, avec des grossesses avancées. Il est à craindre que des raisons administratives, notamment le délai entre leur arrivée et la réalisation du test VIH par Immigration Canada, ou encore le temps nécessaire pour recevoir le résultat, expliquent en partie cette situation. En attendant les formalités administratives, certains ignorent qu’ils ont droit à des soins essentiels pour éviter le même diagnostic à leur enfant. “Certains disent qu’ils n’ont pas reçu les résultats d’Immigration Canada lorsqu’ils arrivent ici”, explique le Dr. Boucoiran. Or, une femme enceinte qui est infectée par le VIH, il est urgent de lui transmettre ses résultats ! Cela peut tout changer, pour la mère comme pour l’enfant. Là-bas, non seulement nous grattons nos caisses pour payer leurs médicaments, mais nous effectuons des césariennes pour éviter le pire. Ce n’est pas une situation optimale », dit-il.

Un destin évitable

Le bébé né le mois dernier au CHU Sainte-Justine est l’un des rares cas de transmission du VIH de la mère à l’enfant signalés au Canada, qui sont au nombre d’environ cinq par année depuis 2013. « Cet enfant devra prendre des médicaments à vie, il n’y a pas de remède possible. Ils le suivront et il devra vivre avec cette stigmatisation pour le reste de sa vie. C’est très difficile d’en parler dans certaines communautés », explique le Dr Boucoiran. Certains craignent que l’attente due au grand nombre de demandeurs d’asile et de migrants se précipitant vers la frontière ne retarde le traitement des femmes enceintes séropositives. L’afflux des derniers mois prolongerait l’attente pour obtenir le fameux document de demandeur d’asile, qui donne principalement accès à des soins de santé gratuits au Canada. « Normalement, ce document est remis lors de l’entrevue d’acceptation qui est menée dans les 24 heures par l’Agence des services frontaliers du Canada. Mais actuellement, l’organisme n’arrive pas à répondre à la demande et reporte cette entrevue de plusieurs mois », explique Stephan Reichhold, directeur de la Table ronde des organismes au service des réfugiés et des immigrés (TRCI). Entre-temps, les demandeurs d’asile ont droit à des services médicaux par le biais du Programme fédéral de soins de santé temporaires, mais les autres immigrants n’y ont pas accès, y compris les personnes entrées illégalement au Canada sans passer par un agent d’immigration. Une chose est certaine, beaucoup d’immigrées enceintes, quel que soit leur statut, se refusent une visite chez le médecin par peur d’avoir à payer, explique le Dr Boucoiran. Selon TRCI, le flot actuel de demandes pourrait également affecter la réception de l’examen médical d’immigration, au cours duquel les demandeurs sont testés pour le VIH. “Nous avons systématiquement des diagnostics de VIH pendant la grossesse, et là, le risque de transmission est plus élevé”, explique le Dr Boucoiran, qui estime que toutes ces femmes devraient avoir accès à des soins de santé gratuits. « Ces futurs enfants seront des Québécois ! Là-bas, les mères sont soignées avec des solutions d’urgence et leurs enfants naissent par césarienne pour éviter le pire”, déplore-t-il. Actuellement, la Colombie-Britannique serait la seule province qui couvre les soins médicaux complets pour tous les immigrants – pas seulement les demandeurs d’asile – sans ou en attente. À la clinique L’Actuel, spécialisée dans le traitement des infections transmissibles sexuellement (ITS), il y a aussi une augmentation des consultations auprès des personnes immigrantes, observe le Dr. Réjean Thomas. « J’ai eu pas mal de cas de VIH récemment. Nous devons courir pour obtenir un test de charge virale. En fin de compte, ce sont les laboratoires pharmaceutiques qui acceptent de payer leurs traitements. N’a pas de sens ! Le VIH est un problème de santé publique. Parce que les gens qui vont être testés et traités ne vont pas infecter les autres », souligne le Dr Thomas. Étrangement, dit-il, pour les immigrés sans papiers, le traitement est gratuit pour les autres MST, comme la gonorrhée ou la syphilis, mais pas pour le VIH. « C’est une maladie asymptomatique, il faut vraiment dépister pour pouvoir soigner ces patients. Si nous laissons cela, nous aurons des problèmes. » Tant le Dr Boucoiran que le Dr Thomas estiment que ces migrants, aux trajectoires très lourdes, doivent être pris en charge rapidement. “Parfois, ils étaient maltraités”, raconte ce dernier. J’en ai eu un couple l’autre jour, je suis entré, l’un était positif et l’autre non. » « Une de mes patientes a subi des violences pendant son voyage de plusieurs mois pour se rendre au Canada. Un de ses enfants est mort en chemin. Ces personnes ont vraiment besoin d’une aide immédiate. Cependant, ils vivent une attente inacceptable », explique le Dr Boucoiran. Si les cas de transmission mère-enfant du VIH sont rares, l’attente engendrée par la situation frontalière actuelle inquiète le gynécologue. « Je suis inquiète. Si la charge virale est encore détectable en fin de grossesse, le risque de transmission au bébé est de 15 %. Si les femmes arrivent en début de grossesse, le risque de transmission est quasi nul. , mieux c’est. » Le petit nombre de femmes immigrées dans cette situation devrait convaincre l’Etat de payer tous leurs traitements, estime cette experte. “Nous ne parlons pas de milliers de femmes. Nous en voyons environ 50 par an. La protection de ces femmes et de leurs enfants ne coûterait pas cher. » Médecins du Monde Canada fait partie des organismes qui offrent des services médicaux gratuits aux personnes sans statut, mais de nombreux immigrants l’ignorent. « Outre la barrière de la langue, les femmes enceintes éprouvent aussi un énorme sentiment de culpabilité et de honte d’avoir contracté le virus », explique Caroline Blais, travailleuse sociale de cet organisme. Selon le plus récent rapport de surveillance du VIH au Canada, environ 743 des 1639 nouveaux cas d’infection au VIH en 2020 ont été signalés chez les nouveaux immigrants lors de l’examen médical d’immigration. Au moins 254 cas d’exposition du bébé au VIH pendant la grossesse ont été signalés dans le pays en 2020, une augmentation par rapport à la dernière décennie.

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