“Ce n’est que la pointe de l’iceberg”, prévient Mélodie Aubart, neuropédiatre à l’hôpital Necker à Paris. “L’épidémie de bronchiolite, on y fait face chaque année. Mais derrière, il y a une situation inacceptable et un hôpital exsangue : le Covid-19 nous a frappés et de plus en plus de soignants partent”, explique Mahmoud Rifai, interne et président. de l’association des jeunes pédiatres d’Ile-de-France. Les deux médecins, qui se plaignent du manque d’effectifs et de la dégradation des conditions de travail, se sont rendus à pied mercredi à l’Elysée depuis l’hôpital Necker, épicentre de la crise pédiatrique. Mardi, lors d’une visite dans cet établissement, le ministre de la Santé, François Browne, a rencontré “des groupes fatigués physiquement et moralement” de la saturation des services de réanimation pédiatrique dans les hôpitaux franciliens. “Trente et un enfants ont été transférés hors d’Ile-de-France”, a indiqué le ministre de la Santé, tandis que toutes les métropoles (à l’exception de la Corse, en phase pré-épidémique) ainsi que la Guadeloupe et la Martinique ont été placées à l’arrêt. le stade “d’épidémie” par la Santé publique française, le plus élevé des trois niveaux d’alerte. Allaiter des enfants dans des lieux inappropriés, déménager dans d’autres zones, reporter des interventions chirurgicales programmées, sortir prématurément de l’hôpital : les soignants rapportent les nombreuses conséquences d’une mauvaise prise en charge. “Nous ne sommes plus en mesure d’affronter le pic de l’épidémie”, a résumé mardi à franceinfo Christèle Gras-Le Guen, présidente de la Société française de pédiatrie. “Il y a des enfants qui attendent 9-10 heures aux urgences, d’autres qui sont renvoyés chez eux parce que des cas plus graves arrivent. Mais aussi certains qui sont transportés à des centaines de kilomètres faute de places.” Mahmoud Rifai, interne en pédiatrie chez franceinfo Face à cette épidémie, l’exécutif se devait de réagir. Le porte-parole du gouvernement et ancien ministre de la Santé, Olivier Véran, a annoncé le 23 octobre un “plan d’action immédiat” notamment l’activation locale des “plans blancs”, activés depuis à Bordeaux ou Rouen. Son successeur avait promis le même jour de débloquer 150 millions d’euros pour “les services hospitaliers sous tension”. “Danger pour les enfants” Des mesures jugées “insuffisantes” et “cyniques” par le collectif Pédiatrie qui a défilé mercredi à l’Elysée. “On a l’impression qu’on est sur le Titanic et que le gouvernement balaie avec une cuillère en plastique”, a déploré mardi la neuropédiatre Mélodie Aubart auprès de franceinfo. “Ce n’est pas ce qui va nous sauver, c’est comme donner du pain à ceux qui ont soif”, juge pour sa part Hiba Trraf. Cette pédiatre vient de démissionner de son poste de chef de service de pédiatrie à l’hôpital de Montluçon (Allier) et fait état d’une crise plus globale. “Il y a une énorme attrition et un manque chronique de personnel, donc un risque pour les enfants et les soignants”, explique-t-elle. Son dilemme a longtemps été celui-ci : « Si nous partons [de l’hôpital] les enfants sont en danger. Si nous restons aussi. C’est culpabilisant”, avoue celle qui va se lancer dans l’humanitaire. Comme ses collègues, elle plaide pour une refonte globale du système de santé et une augmentation des salaires. “Les pouvoirs publics ont besoin d’entendre qu’aujourd’hui, en France, les enfants sont mal traités, faute de moyens, faute de soignants et faute d’une politique de santé digne de ce nom”, résume Isabelle Desguerre, responsable de la Neuropédiatrie. Service de l’hôpital Necker. Le ministre de la Santé François Browne, après avoir promis le lancement au printemps d’un “grand plan” pour l’avenir du secteur, a intensifié mercredi les annonces d’octobre. L’allocation de pratique en soins intensifs sera, par exemple, étendue à tous les soignants. Cette aide mensuelle de 118 euros bruts est demandée depuis plusieurs mois par les soignants et accompagnateurs d’enfants en réanimation. Au lieu des 150 millions prévus pour octobre, le paquet d’aides promis serait “de l’ordre de 400 millions d’euros” pour les services hospitaliers sous pression, a-t-il ajouté. Sans savoir combien sera engagé spécifiquement pour les services pédiatriques.